Fin de congrès

A.Durandeau


C'est bien comme une dernière matinée de congrès. Les rares irréductibles de la ponctualité se comptent. Comme on compte des moutons. Mais pour se réveiller. La plupart des " ténors " sont partis : autres congrès… familles qui regimbent… Certains allèguent de l'un pour masquer l'autre. Pour d'autres c'est l'inverse.

Il y a une atmosphère de délitement, de soulagement et de nostalgie. Le moderne palais du congrès s'approfondit de désuétude dans la qualité d'un " après ". Et c'est d'un pas d'autant plus décidé, le portillon de la cafétéria cliquète rageusement, que le Professeur Alan Stanford se dirige vers la table où l'attend, depuis un bref moment, le Docteur Herman Hausser. L'un s'incline, l'autre se soulève de son siège. C'est un ballet, le garçon de salle en est, sincèrement, impressionné. Il s'attarde, à portée d'oreille, un regain d'intérêt dans ses gestes las.

Stanford : " Je suis heureux de ce rendez-vous. Comme je vous le disais hier soir, - soirée de gala très réussie d'ailleurs… le Président nous enterrera tous ! - si nous mettons nos efforts en commun, notre communication à Atlanta, l'an prochain, aura le poids d'une révolution. Le point où vous en êtes dans les micro-pompes biologiques automanipulées et mes propres découvertes récentes dans le domaine - et de mon équipe, bien sur ! - des delta-interférents, peuvent aboutir à l'obtention, notre Graal !, de l'orgasme simultané délibéré. "

Hausser : " … avec un intitulé très prudent de la communication ! Qu'il apparaisse clairement que les usagers ont toute liberté d'utiliser ou non le processus… Sinon, les latins, nous accuserons d'aliéner les sentiments aux performances !… "

Stanford (s'esclaffant) : "… tout en étant nos meilleurs clients ! "

La serveuse qui s'était approchée participe d'un vague sourire à la jubilation mais on croirait plutôt qu'elle a pleuré il y a peu, nez un peu rouge, yeux trop brillants.

Hausser : " … rien n'est impossible à l'humain, avec de la ténacité ! On se gaussait de nous rappelez-vous, il y a deux ans à Vienne… Oui, complet ! Avec un grand café noir ! "

Elle est partie avec deux commandes très simples que, curieusement, elle avait pris soin de noter. Dans une cafétéria déserte.
Tout au plus le grignotement répétitif du balai, discret et ténu, car le garçon de salle voulait entendre.
Les deux sommités riaient, beurraient, débattaient, sucraient…

Stanford : " … rien d'impossible à l'humain en effet ! Si l'espoir et la conviction sont là ! "

Puis il est parti, à voix basse, dans le récit où, jusqu'à la fin, il avait espéré sauver sa sœur… mais on n'entendait plus distinctement, j'avais à téléphoner, je me suis levé et dirigé vers les cabines téléphoniques. La première était occupée par le garçon, le balai serré contre lui. Sa voix était âpre, d'une véhémence forcée et habitée à la fois : " …Si ! Si ! Dis au Professeur d'insister encore… maman a une résistance incroyable… elle a bien supporté la chimio…RIEN N'EST IMPOSSIBLE AVEC DE LA TÉNACITÉ !… "

Je me suis dirigé, vite, au plus loin, vers la dernière cabine. Là, la serveuse, son plateau en bouclier, implorait, en insufflant toute une conviction : " Mais si ! Mais si ! Ose !… Elle le prendra beaucoup mieux que tu ne crois. Aie ce courage !… Pour nous deux !… Tu sais, IL N'EST RIEN D'IMPOSSIBLE. SI L'ESPOIR EST LÀ ! ".

Dr André Durandeau
Responsable du DIU de Sexologie Médicale et du DU de Sexualité Humaine
Faculté de Médecine Paris XIII



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