Ethique de l'obligation de soin La question particulière des délinquants sexuels

B. GRAVIER (Lausanne)

RÉSUMÉ : Plusieurs affaires retentissantes ont suscité d'intenses questionnements au sein de l'opinion publique européenne sur la prise en charge que la société actuelle peut proposer aux délinquants sexuels. Le désaveu de l'efficacité de l'action judiciaire et pénitentiaire en matière de récidive, la demande d'une répression accrue dans le sens de l'instauration de peines incompressibles de très longue durée vont de pair avec un appel croissant à la psychiatrie comme recours humaniste. Un certain nombre de pays disposent de législations permettant d'imposer un traitement psychiatrique contraint dans le cadre de peines privatives de liberté ou comme alternative à l'incarcération. Certaines législations vont même jusqu'à imposer la prescription de médicaments inhibiteurs de la libido en dehors de toute règle de consentement éclairé. D'autres pays traditionnellement hostiles aux théories de la défense sociale ou du positivisme criminologique viennent de légiférer en associant pe! ine et soin comme en France où le législateur propose d'instaurer une peine de suivi médical de cinq ou dix ans. Les questions éthiques que les praticiens devront affronter à l'avenir sont multiples et doivent amener à s'interroger sur les attentes de la société vis-à-vis de la psychiatrie et sur la toute puissance qu'elle semble lui conférer. Il y a presque deux décennies la psychiatrie américaine était secouée par le cas Tarasoff. Le questionnement qui se développe maintenant en Europe aussi, rejoint certaines questions de fond déjà évoquées alors sur la confidentialité de l'acte médical vis-à-vis de la justice. Cette question se double de celle l'impact de la thérapeutique sur de tels sujets. Problématique ou inefficace pour certains, indispensable pour d'autres Confidentialité, consentement éclairé, primum non nocere, respect de l'intégrité du patient, tous ces principes qui fondent la pratique médicale sont singulièrement malmenés dès que l'on s'attache à la question des délinquants sexuels. Cela doit-il signifier que le psychiatre sort du domaine médical dès qu'il s'adresse à cette population pour ne plus être qu'un agent du contrôle social et l'alibi d'une répression accrue ? Les réflexions et élaborations cliniques qui se développent à propos des délinquants sexuels peuvent-elles nous permettre de repenser une obligation de soin, ou du moins une injonction de soin qui ne reproduise pas les impasses dans lesquelles la loi de 1970 sur les toxicomanies a amené les thérapeutes à se fourvoyer ? L'incitation à la rencontre avec un thérapeute doit-elle faire partie intégrante du cadre que vise à mettre en place le contrôle social ? Finalement, le thérapeute doit-il prendre position dans ce qui apparaît comme une véritable mutation dans ! le rapport de la société à la sanction et à la pénalité ?



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